GERBERT D’AURILLAC

 

ou

 

Construire l’Europe de l’an mil

 

 

 

 

 

Fabuleux destin que celui de Gerbert d’Aurillac ! Né en Auvergne vers 945, il devint l’un des esprits les plus ouverts de son temps. Archevêque de Reims puis de Ravenne, il est le confident du jeune empereur germanique Othon III... avant d’accéder au trône de saint Pierre, sous le nom de Sylvestre II.

"Offert" à un monastère, comme souvent les enfants pauvres, Gerbert devient "oblat" à Saint-Géraud d’Aurillac. En raison de sa vive intelligence, le père abbé décide de l’envoyer en Catalogne, ouverte aux inšuences musulmanes de la cour de Cordoue, pour qu’il y étudie. Confié à l’évêque de Vich, Gerbert découvre les traités mathématiques les plus fameux, traduits de l’arabe en latin. Après trois années d'études en Catalogne, Gerbert devint l’un des esprits les plus ouverts d’Occident.

Il ne retournera plus à Aurillac. L’évêque catalan se rendant à Rome pour obtenir du pape Jean XIII qu’il libère la Catalogne de la tutelle de l’archevêque de Narbonne, il prend avec lui le jeune moine érudit. Ainsi, il est présenté au pape pour sa science exceptionnelle, puis à l’empereur Otton Ier ; Adalbéron, évêque de Reims, le nomme écolâtre, c’est-à-dire clerc dirigeant l’école épiscopale : Gerbert y enseigne et y fait enseigner toutes les connaissances possibles, profanes et religieuses, antiques et modernes, au point d’acquérir une grande réputation de philosophe, de mathématicien et d’astronome. Ses traités savants sont devenus célèbres ; On lui doit, en outre, l'invention du balancier et l'introduction des chiffres arabes en Europe occidentale. Il n’est pas moins érudit dans le domaine des lettres, au point que ses ennemis lui reprochent d’être trop ami "de Virgile, Térence et tout le troupeau de la philosophie païenne".

En quelques années, Gerbert d'Aurillac parvient aux plus hautes responsabilités. L’empereur Otton II, dont Gerbert fut le précepteur, le nomme, en 982, abbé de la célèbre abbaye de Bobbio, fondée par saint Colomban.

Il conseille Adalbéron dans l’élection d’Hugues Capet en 987 comme roi de France, au détriment des derniers descendants de Charlemagne. Il succède à son protecteur sur le trône archiépiscopal de Reims, ce qui lui vaut des démêlés infinis avec les évêques fidèles au Saint Empire Romain, et avec la papauté, dont il conteste l’autorité. Il est suspendu et excommunié par le pape.

C’est alors que survient un événement déterminant dans son existence. Le pape Jean XV vient de mourir. Otton III, redoutant que les Romains ne lui donnent un successeur indigne, nomme lui-même un de ses cousins, âgé de vingt-quatre ans. Le 3 mai 996, ce jeune homme, après avoir été ordonné prêtre et consacré évêque, devient pape sous le nom de Grégoire V. Pour la première fois au Moyen Age, un clerc non-italien accédait à la dignité pontificale. Le 21 mai suivant, jour de l’Ascension, le cousin pape couronne l'empereur Otton III. C’est alors que le jeune empereur sollicite Gerbert pour être son secrétaire. Gerbert suit Otton III en Saxe, d’où celui-ci conduit une guerre contre les Sarmates (nomades de race indo-iranienne). Entre deux combats, Gerbert ouvre à son illustre disciple le monde de la philosophie et s’adonne à l’une de ses recherches favorites : l’observation des astres. L’ancien archevêque "fabrique une horloge qu’il régla sur le cours de l’étoile qu’on appelle "l’étoile des navigateurs" (l’étoile polaire) et qu’il put observer, à l’étonnement de tous, grâce à une longue vue".

Malade, Gerbert va se reposer dans le domaine alsacien que lui a offert l’empereur, dont il reçoit des lettres chaleureuses qui témoignent de l’estime qu’il lui voue: "A Gerbert, son maître aimé au-dessus de tous et à son archevêque très aimé, Otton le plus fidèle des disciples..." En Europe centrale, les Slaves créent des soucis à l’empereur, jusqu’à ce que le prince hongrois Etienne, qui vient de se convertir au catholicisme, réussisse à les battre. A Rome, la situation est encore plus grave: l’antipape Jean XVI tient la ville, obligeant Grégoire V à se réfugier à Pavie, où l’empereur le rejoint. Gerbert poursuit avec son disciple leurs entretiens philosophiques. Mais Otton n’était pas venu en Italie pour discuter seulement de philosophie. Il est résolu à s’installer définitivement à Rome, l’ancienne capitale de l’Empire, la ville éternelle où doit siéger le successeur de Pierre. Otton entre dans Rome en 997. L’antipape Jean XVI s’enfuit. Rattrapé, il est jugé et promené dans la ville, obligé à tenir par la queue l’âne sur lequel on l’a juché, à l’envers !

Gerbert, témoin de l’état désolant dans lequel se trouve la capitale de la chrétienté, réfléchit aux conditions de sa rénovation. Pour récompenser Gerbert de son dévouement, l’empereur le fait nommer archevêque du prestigieux siège épiscopal de Ravenne, l’une des résidences préférées des empereurs. Gerbert s’emploie aussitôt à assainir la situation. Il doit interdire aux sous-diacres de vendre l’eucharistie ou le saint chrême, en leur précisant que "c’est vendre le Fils de Dieu et le Saint-Esprit". Il fait un devoir à ses évêques suffragants de veiller à ce que les prêtres ne soient pas "illettrés, infirmes, bâtards, en rupture de ban...". Le 18 février 999 tombe la nouvelle stupéfiante: le pape Grégoire V est mort. Il venait d’avoir vingt-neuf ans. La rumeur se répand aussitôt qu’il a été assassiné. Otton revient immédiatement dans la Ville éternelle pour veiller à l’élection d’un bon pape. Gerbert accourt de Ravenne pour "conseiller" son empereur. Quatre jours plus tard, celui-ci propose Gerbert. Le clergé et le peuple de Rome l’élisent pape. Le fils de pauvres paysans auvergnats, devenu archevêque de Reims, puis de Ravenne, allait finir sa vie évêque de Rome et chef de l’Eglise. Le 9 avril 999, à la veille de l’an mille, il était consacré pape dans la basilique Saint-Pierre, sous le nom de Sylvestre II. Le premier Sylvestre, pape, n’avait-il pas, selon la tradition, baptisé Constantin, le premier empereur chrétien ? Sylvestre II allait travailler auprès d’Otton III, surnommé Mirabilia mundi, "merveilles du monde", à restaurer l’empire romain et à réformer l’Eglise. II lutta vigoureusement contre la simonie (trafic d’objets sacrés, de biens spirituels ou de charges ecclésiastiques) et chercha à relever de son délabrement le Saint-Siège, jouet des factions aristocratiques de Rome et de la politique européenne. Tout en renforçant l'autorité papale, Sylvestre II déploie une subtile diplomatie qui consiste à unir aussi étroitement que possible la Germanie ottonienne à Rome en rêvant d’un Empire latino-germanique capable de contrebalancer Byzance.

Les deux hommes –le jeune empereur, qui n’a pas vingt ans, et le nouveau pape, qui a dépassé la soixantaine– n’auront pas grand temps pour conduire leur œuvre. Otton III meurt en 1002, dans des circonstances mystérieuses, et son maître à penser, Sylvestre II, le suivra dans la tombe un an plus tard... Mais dans ces courtes années de collaboration, malgré de nombreux obstacles, ils entreprendront une œuvre importante, dont notre temps porte encore la marque. La vision universaliste du jeune empereur visait à rénover l’ancien empire romain, en y accueillant d’autres peuples qui y trouveraient leur place par leur adhésion à la foi chrétienne. Sylvestre II soutint son disciple dans cette œuvre généreuse d’ouverture, qui se heurtait aux mentalités du temps. Grâce à eux, en l’an mil, sous la conduite du duc polonais Boleslas Chrobry et du roi hongrois Etienne, convertis au christianisme, deux grandes nations européennes voyaient le jour, dont la foi chrétienne fut le ciment. Sylvestre II organisa les deux jeunes Eglises, hongroise et polonaise et créa en Pologne l'évêché de Cracovie. Il ne pouvait imaginer que, mille ans plus tard, à l’aube de l’an 2000, l’ancien archevêque de Cracovie, Karol Wojtyla, serait son successeur sur le siège de Pierre.

On peut voir encore, aujourd’hui, sur la deuxième colonne de droite dans la nef de Saint-Jean de Latran, une belle épitaphe qui unit les deux hommes dans la même vénération : "Ils illustrent l’un et l’autre leur temps par l’éclat de leur sagesse. Il (Gerbert) remplissait depuis un lustre (cinq ans) les fonctions de Pierre lorsque la mort vint le frapper. Le monde fut glacé d’effroi. La paix disparue, l’Eglise chancela, elle oublia le repos..."

 

 

 

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